Un nouveau paradigme : une conscience spirituelle écologique
extraits d’interview de Jean-Marie PELT
nous allons devoir appliquer un modèle qui ressemble beaucoup plus à la nature, ignore la croissance quantitative, recycle, et qui par conséquent sera organisé sur l’idée d’équilibre, dans le lien que nous allons faire entre économie et écologie. C’est un changement de culture très important. Dans les changements majeurs, il y a eu la révolution néolithique, il y a sept mille ans, lorsque nous avons commencé à cultiver; au XIXe siècle, la révolution industrielle, à partir de laquelle nous avons exploité durement la nature. Aujourd’hui, on arrive à une troisième étape.
Vous dites que nous avons perdu notre lien profond avec la nature et que celui-ci est nécessaire pour la préserver. Mais comment le retrouver dans un monde dominé par l’urbanisme, la course à l’emploi et la vie virtuelle ?
Par l’éducation. Quand j’étais enfant, je vivais dans le jardin de mon grand-père et je me baignais dans la rivière On était totalement immergé dans la nature. Aujourd’hui, c’est fini, ce lien est cassé. Les enfants sont instrumentalisés par la mécanique de consommation. Que représentent les fleurs des champs pour un ado, comparées à son MP3 ou à ses textos ? Comment restaurer ce lien ? C’est ce à quoi nous travaillons dans mon Institut, à Metz, où nous essayons d’œuvrer à la fois sur le plan mondial et local.
Par exemple, nous développons des actions dans les maternelles en créant des jardins dans les cours de récréation, où des jardiniers vont travailler avec les enfants. À Metz, toute la ville fonctionne ainsi, et beaucoup d’autres villes nous ont suivis. Il s’agit de montrer aux enfants combien les plantes nous ressemblent.
L’habitat doit changer, et je pense que nous allons évoluer, comme c’est déjà le cas en Allemagne, vers de petits collectifs habillés de jardins avec une gestion plus harmonieuse de l’énergie. Les barres et les tours, c’est fini. Au Canada, on aménage les toits en jardins, ce qui est une manière de se lover dans la nature tout en vivant en ville.
Vous montrez par ailleurs comment les religions et les grands courants spirituels intègrent tous un rapport fort avec la nature.
Réveiller en nous des préoccupations spirituelles, ce serait une manière de sauver la planète ?
On a l’impression qu’il le faut. Si vous considérez l’ensemble des religions, vous leur trouvez trois idées communes.
D’abord, l’idée que le sort de l’homme et celui de la nature sont étroitement liés. Si l’homme déraille, la nature déraille
avec lui. Le réchauffement climatique en est l’exemple moderne. Ensuite, l’idée que l’homme doit être sobre dans sa consommation des ressources naturelles. Ce thème de la sobriété est partout : Autant dans le bouddhisme que dans l’islam ou le christianisme. Enfin, il y a dans toutes les religions l’idée de combattre cette propension de l’homme à se prendre pour un dieu : c’est le mythe de Prométhée chez les Grecs, celui du serpent tentateur dans la Bible, identique dans le Coran ou même dans le taoïsme.
Or nous sommes actuellement dans une civilisation qui prend à rebours ces trois mises en garde : nous cassons le lien avec la nature, donc elle se venge sur le plan climatique; nous ne sommes pas sobres mais consuméristes, boulimiques, donc nous épuisons les ressources de la terre; enfin, nous sommes tout à fait prométhéens, puisque nous expérimentons dans nos laboratoires les choses les plus folles, donc nous sommes coupés des grandes sagesses qui sont tout de même le patrimoine de l’humanité. Je pense qu’il faut réfléchir sur cela.
L’écologie peut-elle être une forme de spiritualité moderne ?
Elle comporte certainement une spiritualité humaniste. Mais jusqu’à maintenant, en raison de certains malentendus nés dans les années 60, elle était assez étrangère à l’apport des religions. Or, les choses sont en train de changer. Dès 1995, le WWF a réuni les hauts responsables des religions sur le thème de l’écologie. Et depuis, on voit naître une confluence entre les courants écologiques et spirituels.
Les chefs religieux montrent-ils un véritable intérêt pour cette question ?
– Lors de ses vœux de Noël dernier, Benoît XVI a bien montré les préoccupations de l’Église catholique concernant la
sauvegarde de la planète, mais déjà, avant lui, Jean-Paul II soulignait « le rapport entre l’agir humain et l’intégrité de la Création », l’homme étant lié par des devoirs envers la nature. Mais on sait aussi le fort engagement de l’actuel patriarche orthodoxe, Bartholomé Ier, qui organise chaque année à Istanbul un colloque sur les grandes thématiques écologiques. Tous les dialogues interreligieux d’aujourd’hui – entre chrétiens, juifs, musulmans, spiritualités orientales – comportent une réflexion sur la protection de la nature, une relecture des textes sacrés et des pratiques rituelles ayant trait à la nature.
C’est ainsi que l’Église méthodiste américaine s’est engagée à transférer la totalité de sa trésorerie dans un fonds d’investissement éthique «vert»; que les taoïstes chinois ont récemment renoncé à toute utilisation des espèces sauvages menacées, dans leurs préparations de médecine traditionnelle; que les leaders bouddhistes de Mongolie ont interdit la chasse sur leurs sites sacrés pour aider à la protection de la faune. Des institutions juives travaillent à la protection de la forêt, des monastères catholiques partout dans le monde se sont engagés dans la mise en œuvre des pratiques de développement durable. Les initiatives se multiplient chaque jour. Ce qui laisse à penser que la rencontre de ces deux courants, écologie et spiritualité, est en train de se réaliser. Ce qui n’est rien d’autre qu’un véritable changement de civilisation.
Aucun commentaire pour l’instant.
Votre commentaire